"Frères humains, laissez-moi vous raconter comment ça s'est passé. On n'est pas votre frère, rétorquerez-vous, et on ne veut pas le savoir."
Voilà comment commence le roman monumental de Jonathan Littell, narré à la première personne par Maximilian Aüe, ancien officier SS de son état. Au gré de ses souvenirs, ce personnage ambigu et torturé va entraîner le lecteur vers les tréfonds de l'horreur. L'horreur de la guerre, des atrocités nazies (de l'Ukraine à Berlin, en passant par Stalingrad, on suit la chronologie du conflit) bien sûr, mais également l'horreur intime et personnelle qui ronge tout son être.
Les spécialistes de la Seconde Guerre Mondiale y trouveront des incohérences, des approximations factuelles, mais l'important n'est pas là, "Les Bienveillantes" n'est pas un livre d'histoire mais une formidable entreprise romanesque qui cherche à comprendre le Mal, collectif et individuel. La guerre est ici le théâtre dans lequel se joue la tragédie humaine. C'est un livre dur, difficile parce que bien écrit : on est plongé jusqu'au cou dans l'ambiance de mort qui accompagne la progression de l'unité de Aüe, les odeurs assaillent nos narines, les cris agressent nos oreilles... La mort, la souffrance et la maladie ne sont pas de simples notions, elles habitent littéralement le roman. C'est un livre troublant, ambigu, qui résonne étrangement en chacun de nous dans une catharsis qui laisse nauséeux et comme purifié à la fois.
Les Bienveillantes, ce sont surtout les Euménides, déesses persécutrices de la mythologie grecque plus anciennes que l'Olympe, qui pourchassent les maudits et les criminels tout leur vie durant.