La fin du Barracuda Appui-Feu

Le Barracuda
Le Sherman, placé en sentinelle à un angle de la place Mc Auliffe à Bastogne, est probablement un des vestiges le plus connu et le plus photographié de la bataille des Ardennes.

Que d'histoires ont courru à son sujet.

D'aucun disaient qu'il s'agissait ni plus ni moins du char ayant brisé l'encerclement, celui-là même du Lt Bogess ! Il est alors en bien piètre état pour un char conquérant !

Certains allant jusqu'à dire que c'est le char ayant servi à Patton lui-même, pour faire son entrée dans la ville libérée !

J'ai personellement des souvenirs de jeunesse, racontant la fin du char et de son courageux équipage : enlisé dans un marais, il n'aurait succombé que sous le nombre des adversaires : pas moins de 5 chars allemands auraient été nécessaires pour en venir à bout !

Toutes ces histoires ne sont évidemment que sornettes, quoique vous allez voir que la dernière version se rapproche un peu plus de la vérité.
Vérité moins glorieuse, mais toute aussi tragique pour l'équipage de l'infortuné M4.

Unité et équipage
En fait ce blindé appartenait au 41st Armored Tank Batallion/ 11th Armored Division, et faisait partie partie de la Task Force Poker.
L'équipage du "Barracuda" était composé come suit :

Chef de char : Staff Sergeant Wallace ALEXANDER
Conducteur : Tech/4 Andrew URDA
Pointeur : Cpl Cecil PETERMAN
Chargeur : Pfc Dage HEBERT
Mitrailleur : Pfc Ivan GOLDSTEIN

Prélude

Le 30/12/1944, le CCB de la 11th Armored Division s'organisa pour l'attaque en constituant 3 Task Forces.

La TF Poker attaqua Lavaselle avec succès en faisant de nombreux prisonniers, et continua vers le nord jusqu'aux hauteurs entre Brul et Houmont.

C'est à ce moment là que le "Barracuda" s'égare avec un autre Sherman, celui du Capt Ameno.

Ils se retrouvent tous deux au carrefour de Hubermont, dominé par le village de Renuamont, lequel se trouve aux mains d'éléments de la Führer Begleit Brigade de Remer.

Jamais seul !
Alors qu'Ameno reste à proximité du carrefour, le "Barracuda"traverse ce dernier et s'engage pendant une centaine de mètres vers Rechimont, avant de couper à travers champs au pont enjambant le "Millomont"et de se diriger vers Renuamont.

Avertissement
A proximité du village, le M4 fait demi-tour et redescend la colline en direction du carrefour d'Hubermont.Il est alors touché à l'arrière par un obus AC.

Cachées par la couche de neige, Urda n'aperçoit pas le terrain fangeux dans lequel son Sherman s'enlise.

Mise à mort
Il manoeuvre tant qu'il peut pour essayer de se tirer de ce mauvais pas lorsque tout à coup retentit un ordre d'avertissement du Capt Ameno :

"White four, dègagez de là en vitesse, vous allez recevoir une dégelée".

L'équipage n'a cependant pas le temps de réagir, un coup mortel tiré par un PzIV qui suit parallélement la route du "Barracuda" met fin aux aventures de ce dernier.

Le tueur
Le char du Capt Ameno fut également détruit et un seul des membres de son équipage, le T/4 Mattson en réchappa.

Les victimes
L'équipage du "Barracuda" put s'échapper du cerceuil d'acier, mais tous les membres furent faits prisonniers.

Alexander, grièvement blessé aux jambes mouru quelques jours plus tard après avoir été amputé

Peterman blessé par balles à la mâchoire lors de son évacuation du char est fait prisonnier.

Goldstein également blessé est également fait prisonnier, étant Juif, il est condamné à mort par l'officier allemand qui est chargé de les interroger (il ne devra la vie qu'à l'offensive américaine déclenchée le jour suivant et qui donna d'autres chats à fouetter aux Allemands)-

Urda est le seul à s'en sortir sans une égratignure, mais ses conditions de détentions feront de lui un homme psychologiquement malade pour le restant de ses jours.

Hebert également blessé aux jambes et aux chevilles fut également fait prisonnier

Témoignage de Goldstein
Je faisais partie de la Comp B du 41st Tank Battalion de la 11th Armd Div qui entra au combat le 30/12/1944. Pour nous, l'attaque avait débuté à l'aube et avait duré toute la journée.

Nous avons réussi quelques coups au but lors de cette journée, bref, notre char, le "Barracuda" et son équipage se comportaient bien.
La journée allait malheureusement aussi mal finir qu'elle avait bien commencé.

Vers la fin de l'aprés-midi, nous atteignîmes Rechrival. Puis, pour une raison que j'ignore toujours, notre char fut séparé des autres.
Je me souviens que notre chef de char émit une vacation radio, annonçant à son supérieur hiérarchique qu'il ne savait plus très exactement où il se trouvait. Bref nous étions perdus.

Nous avons passé une colline, puis nous sommes redescendus dans une vallée Urda me fit remarquer que nous semblions complètement égarés...

je me rappelle bien que notre char était embourbé dans la fange lorsque l'intérieur prit feu à la suite d'un tir ennemi. La trappe d'évacuation, sous nos pieds, était bloquée par des caisses et, de toute façon, elle était sous eau. Je choisis donc d'évacuer par le haut, et me hissai par le trou du mitrailleur je courus vers l'arrière du char et je sautai dans l'eau glacée d'une mare toute proche.

J'y retrouvai Urda qui avait eu la même idée que moi. Malheureusement, nous eûmes à peine émergé de la mare que les Allemands étaient déjà là, pointant leur fusils sur nous ...

Je vis Peterman couché sur le ventre, dans la neige il avait une vilaine blessure au dos, je le croyais mort.Je me souviens avoir vu un Allemand faire rouler son corps et lui prendre son beau couteau de chasse qu'il avait à la ceinture.

Les Allemands avaient également transporté Alexander à une certaine distance du char.Il était allongé dans la neige, avec de graves blessures aux jambes.Nous l'avons transporté sur le sommet d'une colline.Il souffrait beaucoup et sentait ses jambes devenir de plus en plus froides. Avec Urda, j'ai tenté de les lui frictionner afin de les garder au chaud. Il pleurait de douleur et de froid...

Témognage de Urda (seconde main)
A Houmont, mon père manqua un virage vers l'est et continua à rouler vers le nord jusqu'à Renuamont. Il s'enlisa dans une mare qu'il n'avait pas vue à cause de la neige. Au début il croyait qu'il était bloqué par un petit ravin ou quelque chose de semblable.

Il a toujours dit aussi que son périscope était preque inutilisable à cause de la boue et des saletés qui y étaient collées, ajoutant que si, il en avait eu le temps, il se serait sorti de ce mauvais pas.

Toujours est-il qu'il fut pris pour cible par un 88 allemand (les Américains avaient souvent tendance à voir des 88 partout).Le char fut touché et pris feu.

Papa racontait qu'il ne pouvait pas sortir du char parce que la tourelle était placée dans une mauvaise position.Il avait préparé deux grenades scotchées, goupilles enlevées pour ce genre de situation, préférant se faire sauter, que de mourir carbonisé.

Heureusement, le chef de char réussi à faire pivoter la tourelle de manière à ce que mon père et Goldstein puissent sortir par leurs écoutilles. Ils furent fait prisonnier tout de suite après.

Premier coup au but

arrière du char

Le coup de grâce

blindage latéral

Mr Reisen

Mr Reisen de Hubermont a été le témoin direct de la fin du "BARRACUDA", il précise que le coup mortel donné au SHERMAN l'a été à moins de 200 m : le tir a été fait depuis l'arrière de sa maison, où le PzIV s'était caché.

Peu de temps avant cette mise à mort, Mr Reisen précise que le SHERMAN a un moment disparu de sa vue à l'approche du village de Renuamont.

Il a alors entendu une grosse explosion et a vu presqu'aussitôt le char redescendre toute la pâture en oblique, avant de s'enliser dans les fanges.

Il s'agit donc du premier coup au but reçu par le SHERMAN dans son arrière.

Détail du coup reçu à l'arrière

Au vu du coup reçu, on se rend compte que l'angle de tir du canon ou du char allemand, a "attaqué" le blindage d'une position très légèrement surélevée, et fortement de biais par rapport au "BARRACUDA" (l'obus n'a d'ailleurs rien endommagé d'autre que la plaque de blindage).

Combien de tueurs ?

Le PzIV qui mit fin à l'aventure du "BARRACUDA" est-il aussi celui qui le toucha à l'arrière ? Nul ne le saura probablement jamais, mais on peut le supposer.

Ce dernier, après ce premier tir, descend de Renuamont pour rattraper la route traversant le village et se retrouver parallèle au M4 !
Il s'embusque alors derrière la maison Reisen et aligne le SHERMAN enlisé, lui donnant le coup de grâce.

Quant au char du Capt Ameno, nous ne savons pas par qui et quand il fut détruit.

Toujours est il qu'il ne constituait plus une menace pour le PzIV : selon Mr Reisen, les membres de son équipage à l'exception d'un seul, quittèrent ce dernier pour faire prisonnier les tankistes américains.

Un monument immortel
Le char resta en place jusqu'en 1948. Il échappa aux ferrailleurs car il se trouvait sur une source qu'un fermier, propriétaire du champ ne voulait pas voir polluée par une découpe "sauvage" du blindé.

C'est l'armée belge qui finalement déplaça le tank qui fut transporté sur la place du Carré (actuellement Mc Auliffe) ou il fut restauré
et mis en place sur un socle en béton où on peut encore l'admirer aujourd'hui.

A l'instigation du cercle d'histoire de Bastogne, Mr Goldstein revint les 8,9,10 mai 1998 voir "son char".

Une visite du lieu où se passa ce tragique fait d'arme fut organisé en véhicules d'époque, et l'on pu voir Mr Goldstein se perdre dans ses pensées lorsqu'il revit l'endroit des faits.
On imagine aisément l'émotion qui l'étreignit à cet instant

Ce char porte actuellement les insignes de sa division réelle, et de la 4th Armd Div, afin de commémorer l'action de cette unité, qui la première, brisa
l'encerclement de BASTOGNE, le 26/12/1944 à 1645 hrs.

Sources :

-"La véritable histoire du sherman de la place Mc Auliffe à Bastogne" Cercle d'histoire de Bastogne 1999

- Order of Battle n°8 de OSPREY MILITARY

- LA GRANDE BATAILLE DES ARDENNES de HM Cole - Omer Marchal Editeur

Auteur : Arduenn
Créé le dimanche 22 juin 2003

Le bar d'AF