(scénario "La blanchisserie" de R2)
Ma très douce Inga,
Finalement tu vois, je n'aurai pas quitté la Croix-Rouge bien longtemps! Le destin, qui a un moment hésité, sait bien où se trouve ma place.
Les blessés transportables doivent être transférés aujourd'hui si les russes nous en laisse le temps. Plus vite nous serons loin d'ici, mieux nous nous porterons et plus les chances d'être capturés par les américains seront grandes -tu sais mieux que moi combien je les déteste, mais à en croire les vétérans que j'ai rencontré, mieux vaut mourir que de tomber entre les mains des russes.
Comme tu le devines déjà, nous avons essuyé notre baptême du feu. Pour résumer, je dirai que la situation aurait pu être beaucoup plus catastrophique qu'elle ne fût en réalité.
Les deux blindés qui nous accompagnaient se sont "partagé" l'accès sud-est du village, l'officier commandant le blindé plus léger -un type très grand avec un air particulièrement suffisant- décidant même de se poster très loin de nos lignes, du côté de l'ancienne blanchisserie. Il a emmené avec lui, sans me prévenir bien sûr, Bauer et Anzenbau avec leur Panzerschreck!
Pour défendre l'accès nord-est, j'ai positionné les pauvres bougres qu'on m'avait confiés, dans des bâtiments dont les murs m'avaient l'air assez épais et j'ai fait creuser un emplacement pour l'espèce de canon anti-char dont l'équipage venait de découvrir le maniement.
Contrairement à ce que nous attendions, les russes ont commencé à contourner par le nord les bois dans lesquels s'étaient camouflés les SS belges dont je te parle dans ma dernière lettre. Tout à coup, au milieu du bruit des blindés russes j'ai reconnu le son très caractéristique d'une mitrailleuse allemande. Aussitôt l'avance de l'ennemi est devenue plus prudente. Pendant quelques minutes nous avons entendu les chars russes tenter de faire taire cette mitrailleuse qui continuait pourtant à tirer sporadiquement. Un vent de frayeur s'est soudain mis à souffler dans nos rangs lorsque nous avons vu des flammes s'élever des bois...un vétéran presque invalide qui servait notre unique mitrailleuse lourde me dît qu'il s'agissait certainement d'un char lance-flamme: je n'imaginais même pas que cela puisse exister!
Alors débouche sur la route un de ces chars russes, et aussitôt un drôle de bruit de tôle enfoncée semble le stopper net. Les SS ont tendu une embuscade à la sortie de la route et un deuxième véhicule explose bientôt. On entend des tirs très nourris d'armes automatiques, des cris, des grenades...La seule chose que je puisse faire pour leur venir en aide est d'ordonner le tir de notre canon sur un deuxième char qui apparaît à quelques mètres des deux épaves: Un premier coup manque sa cible et les quelques secondes que met l'équipage à recharger sont une terrible épreuve pour mon coeur, presque autant que le miracle qui suit!
Un silence de mauvais augure retombe pourtant assez vite dans le bois; Nos hommes n'y ont retrouvé plus tard qu'un seul rescapé qui semblait appartenir à un autre monde...
Pendant ce temps, je ne l'ai appris que par la suite, le blindé qui se trouvait près de la décharge a décidé de contourner les forces ennemies après s'être assuré de ne pas pouvoir être lui-même pris à revers. Et avec pourtant très peu de munitions il a réussi à détruire cinq véhicules, dont deux autres chars.
C'est à ce moment que j'ai rappelé le second blindé, persuadé qu'aucun danger ne viendrait plus du sud-est. L'infanterie russe privée de tout soutien décida quand même de donner l'assaut et la terreur menaça très vite de gagner les esprits. Je ne sais vraiment pas ce que mes hommes seraient devenus sans l'aide de cet équipage de "StuG" qui a réussi à contenir les tentatives russes d'occuper le village.
J'étais moi-même dans la bâtisse de la famille Reiner dont je t'ai parlé: c'est dans ce coin-là que ça a le plus chauffé, mais je suis assez fier de moi: je n'ai perdu qu'une vingtaine des hommes que je commandais directement. Quand je t'ai dit que j'avais retrouvé la Croix-Rouge, ce n'est pas exactement comme avant. Rassure-toi, je vais bien mais je ne suis plus agent de liaison pour les prisonniers de guerre, je fais désormais partie de ceux dont on s'occupe.
Ton mari qui t'aime.
Capitaine Bruno Brauner.