Vous pouvez donner sur ce post vos impressions et critiques bien s?r .


Question de 39-45 Magazine : Guy Sajer tout le monde conna?t " le soldat oubli?", mais pouvez-vous nous parler de vous, de l'homme que vous ?tes, du Landser que vous avez ?t? ?
Guy Sajer : Qui suis-je ? Je suis l'homme qui repr?sente un pass? assez lourd ? porter : je ne vous le raconterais pas en d?tail parce que je suppose que vous le connaissez : je n'en tire aucune gloriole mais non plus aucune honte. Je pense avoir v?cu ? une ?poque marquante de ce si?cle et malgr? toutes les critiques dont on a pu ?tre l'objet, je continue ? penser qu'il y avait autant de bonne volont? dans notre camp, et, je dirai presque plus, que dans celui des autres.
39-45 Magazine : Pouvez-vous parler de votre engagement au niveau militaire ?
Guy Sajer : Je ne suis pas engag? mais un requis. Mon ?tat d'esprit ? cette ?poque ?tait celui d'un scout. En politique je ne connaissais rien. J'ai beaucoup appris ... apr?s. Mon p?re m'avait fait des recommandations "Peigne-toi comme il faut, cire tes chaussures", bref, les choses les plus anodines mais pour lesquelles j'?tais tr?s attentionn? pour ne pas me faire mal noter dans une organisation, somme toute, ?trang?re, car je venais de France. D'un seul coup, je me suis retrouv? dans un contexte tr?s prenant, tr?s entour?, en allemand on dirait "gem?thlich". Dans mon esprit de jeune de l'?poque et mis ? part l'appr?hension de la guerre, je fus sid?r? de l'atmosph?re que je trouvais en Allemagne, la r?ception, les camps, les amis et m?me l'instruction : des choses qu'on avait jamais imagin?es jusqu'alors.
39-45 Magazine : Vous ?tes arriv? sur le Front de l'Est avant Stalingrad ?
Guy Sajer : J'ai d'abord connu l'Arbeitdienst. On passait tous par l?. C'?tait une organisation plut?t pacifique, en ce sens qu'on faisait ce que beaucoup de jeunes devraient apprendre ? faire actuellement : aider autrui dans ses travaux quotidiens, passer d'un village ? l'autre, retourner la terre pour les vieux paysans, arranger les places publiques, nettoyer. Cela se terminait autour d'une table avec chants, rires, boissons. Nous ?tions tr?s bien vus.
Mais l'?poque ?tait ? "Siegfried", et non ? un quelconque Bacchus, et nous nous sentions un peu frustr?s d'?tre de cet Arbeitdienst sans arborer aucune d?coration, sans signe distinctif : alors nous r?vions ? l'arm?e combattante, m?me avec un peu d'inqui?tude de l'inconnu. Nous voulions troquer nos pelles et nos balais contre des armes plus s?rieuses. A l'?poque, j'avais de grands moments de solitude, je me trouvais dans un pays dont je ne connaissais pas la langue, qui me faisait r?fl?chir sur moi-m?me. Mais rapidement, on ?tait repris par la cadence de l'?poque : pas une minute de libre, apprendre, apprendre ...Je m'acclimatais peu ? peu, jusqu'? ce qu'on nous am?ne en Pologne pour un entra?nement plus s?rieux. Au d?but j'ai fait partie de l'organisation de transport Fahrentruppe et, de ce fait, nous roulions vers Stalingrad. La ville est tomb?e avant que nous l'atteignions mais nous connaissions les difficult?s de l'hiver.
39-45 Magazine : Vous avez donc fait partie de ces unit?s qui ont essay? de ravitailler la ville assi?g?e, un effort consid?rable en la mati?re.
Guy Sajer : Tout ?tait conditionn? pour ?a : les chemins de fer, les routes impraticables, qu'il faut remettre en ?tat ou d?bloquer sur des kilom?tres, en employant les populations locales et sans grand repos pour tous. C'?tait une guerre au-dessus des moyens de l'Allemagne. Consid?rez les distances invraisemblables, cel? repr?sentait des jours et des nuits de circulation impossible. Les attelages hippomobiles restaient sur place pour permettre de d?gager les camions qui ?taient utilis?s sur les plus longues distances. Les russes ?taient d'ailleurs ? la m?me enseigne. Ils avaient les m?mes distances ? parcourir, des moyens m?caniques encore plus rares, du moins au d?but, ils se d?pla?aient ? pied et on d? souffir un martyre insens?. Je ne pense pas qu'? nous dans cette affaire.
39-45 Magazine : Quelle impression vous a fait ce film ?
Guy Sajer : Je ne l'ai mis en route qu'avec une certaine appr?hension, car je pensais encore ? un couplet de propagande anti-nazie comme il en fleurit partout. Donc, je ne me faisais aucune illusion. Je l'ai vu en version originale ce qui rend mieux l'odeur et le particularisme des choses, sans pouvoir tout suivre car j'ai un peu perdu dans cette langue. Certes il y a des couplets qui ne sont pas en faveur des soldats allemands qui ont donn? tant d'eux-m?mes dans cette batailles, mais les images m'ont frapp? ? un tel point qu'elles m'ont emp?ch? de dormir la nuit qui a suivi. C'est d'un r?alisme stup?fiant et je n'ai jamais imagin? Stalingrad autrement.
J'ai fait un rapprochement avec les p?riodes que j'ai connues par la suite et dont certaines ont atteint l'intensit? de Stalingrad. Notamment les combats de rues au d?but. J'ai ?t? boulevers? par les images, je ne faisais plus attention aux commentaires. Vous savez, j'ai connu la guerre et les mots ?taient rares. Nous n'avions que l'inqui?tude pour meubler le temps libre, que le sommeil pour retrouver un peu de force : les conversations ?taient rares et portaient sur des choses totalement anodines.
Bien s?r, on nous pr?sente ce qu'il y avait de plus mauvais : les plus mauvais officiers, les soldats les moins convaincus, la douleur des trahisons et des abandons. C'est la chanson que j'attendais et je n'ai pas ?t? surpris. Mais ce qui m'a captiv?, ce sont les images parce que le metteur en sc?ne, tr?s bien conseill?, a rendu ces moments avec un r?alisme extraordinaire. C'est vraiment l'atmosph?re.
(Sajer indique que le film est exact au niveau de l'uniformologie.)
39-45 Magazine : Je pense ? la sc?ne du train o? la troupe monte vers Stalingrad : il y a un enthousiasme, la certitude du lendemain, les projets de mise valeur des terres attribu?es. Qu'en pensez-vous ?
Guy Sajer : C'?tait exact. J'?tais dans le secteur sud. J'ai vu des soldats allemands sortir des rangs pour mettre un peu de terre dans un sachet ? remettre au service d'analyse car on nous avait expliqu? que la colonisation de ce pays serait fait par les allemands. Et les soldats, simples paysans en uniformes, y croyaient. Moi, je n'?tais pas passionn? par ce probl?me, je me repaissais des paysages. Je n'oublierai jamais les champs de marguerites, l'immensit?, la steppe libre devant nous. Un paysage angoissant par certains aspects : on voyait arriver les orages de tr?s loin, les rideaux de pluie nous passaient dessus et on s?chait au grand soleil en marquant toujours le pas. Un pays vide, cultiv? surtout autour des agglom?rations et sinon en friche partout. Pour en revenir ? la liesse manifest?e par la troupe d'assaut montant au front, c'est une chose que les troupes ont connue : on noie son inqui?tude dans les chants et les libations, on enivsage une victoire f?t?e au champagne, avec des femmes et banquets, que sais-je moi ? En tout cas on ne pensait pas au pillage, surtout parce qu'il y avait, en g?n?ral, rien ? piller.
39-45 Magazine : Le film donne une double vision du soldat allemand : des gens inconscients et des gens peureux qui ne veulent pas monter ? l'assaut. Un sous-officier casse sa plaque d'identit? pr?ventivement ...Qu'en pensez-vous ?
Guy Sajer : Cette partie m'a un peu choqu?. Je comprends la l?chet? : m?me sous la menace, on ne veut pas y aller ! Moi-m?me j'ai voulu me tirer une balle dans la t?te en Bessarabie parce que ce n'?tait plus supportable. L'enthousiasme des autres, par contre, voulant monter ? l'assaut, ?a existe dans les premi?res heures. Par la suite, chacun prend des pr?cautions pour survivre. L'instinct de conservation est plus fort que tout. Sinon personne ne bougerait. Oui, il y avait des fous (ou des h?ros si vous voulez). J'en ai connus. Ils s'exposaient dans des conditions invraisemblables. Surtout dans les comabts de rues qui sont les plus impitoyables, car il n'y avait pas de lignes pr?cises.
M?me l'artillerie ne peut pas intervenir car il faudrait une signalisation qui est impossible. C'est un jeu tellement serr?, que les mots sont insuffisants pour d?crire l'atmosph?re, la tension qui passe par des moyens de crispation les plus inou?s et la d?sinvolture, la d?contraction ? certains autres, quand on s'aper?oit qu'il n'y a plus rien ? faire. Mais je ne crois pas ? la fleur au fusil, cela existe dans les premiers temps d'un conflit mais cela ne dure pas.
39-45 Magazine : Ce qui frappe, c'est que l'on montre l'arm?e allemande non solidaire, compos?e de gens pensant "chacun pour soi".
Guy Sajer : Oui, et je ne comprends pas cela : car la seule chose qui a permis ? l'arm?e allemande de tenir si longtemps et dans des conditions ?pouvantables, c'est justement cette solidarit?, cette foi dans le bloc, sinon cela se serait pass? comme en 40 dans l'arm?e fran?aise. Comment peut-on imaginer qu'une arm?e de d?bauch?s, d'?go?stes et de couards puisse tenir un front si ?tendu. La coh?sion qui existait est la seule explicaiton ? la r?sistance de l'arm?e allemande qui combattait le monde entier.
39-45 Magazine : Et le cas de l'officier qui n'est pas en ?tat d'?tre d?cor? ? On ne le d?core pas ...
Guy Sajer : Peut-?tre est-il possible que cela ait exist?. On montre toujours des cas sordides. Moi j'ai connu un sous-officier qui refusait d'?tre d?cor? parce qu'il estimait qu'il n'en avait pas assez fait. Prenez l'exemple du film "Le bateau". On a ?t? prendre l'U-96, un sous-marin sans histoire qui n'a m?me pas ?t? d?truit. On n'a pas montr? Kretschmer ou Prien et des cas de bravoure presque incroyables. On veut d?montrer que cette bravoure ne peut exister que dans le camp adverse, ce n'est ni juste ni charitable.
39-45 Magazine : Parlons des Russes. On les montre tr?s g?n?reux, une femme tr?s patriote, des populations civiles qui souffrent et qui souffrent de la pr?sence allemande.
Guy Sajer : Nous avons recueilli des soldats sovi?tiques dans un ?tat d?plorable : des types gel?s, affam?s, riant parfois aux ?clats sans raison. La premi?re chose qui apparaissait, c'est l'entraide. La guerre qui d?veloppe une cruaut? parfois abominable, se montrait plein de fraternit?. J'ai vu partager le peu que nous avions avec des russes prisonniers, pleurant comme des enfants. Je ne vois pas un soldat au monde tirer dans la t?te de ces soldats, ce n'est pas possible. Apr?s la bagarre, la chance d'en ?tre sorti fait qu'il y a une solidarit? entre les combattants. J'ai pass? des heures sous une pluie battante, sous nos ponchos, avec des soldats russes souriants et parlant une langue que je ne connaissais pas. Je leur aurais donn? n'importe quoi pour les rassurer. On venait d'?chapper ? la tourmente, cela suffisait pour partager, pour exorciser ? jamais les heures terribles que nous venions de vivre. Les hommes s'aper?oivent de l'absurdit? de ce qui vient de se passer. On s'aper?oit que l'on est tous les deux en vie et cela d?passe tous les cadres politiques : on est pr?ts ? faire un fr?re du plus d?ment de nos ennemis. On se retrouve comme deux ?paves ?chapp?es de la tourmente.
39-45 Magazine : Donc, les russes massacr?s ? coup de crosse, cela vous semble impossible ?
Guy Sajer : Mais non, il peut toujours se trouver un excit? ou quelqu'un ayant un compte ? r?gler qui ait commenc? ? frapper des prisonniers : cela existe dans tous les conflits. J'ai connu un soldat allemand qui avait attach? une grenade d?goupill?e ? la ceinture d'un prisonnier russe : il a ?t? arr?t? pour cela, mais il expliquait qu'ayant ?t? fait prisonnier par les russes, ces derniers enfon?aient des cartouches dans le cr?ne de ses camarades. Moi-m?me j'ai re?u des coups de crosse sur les pieds ? l'exercice parce que je n'allais pas assez vite pour passer d'une pi?ce d'artillerie ? une autre, ce n'est pas pour ?a que je disqualifie l'ensemble.
On monte en ?pingle des choses comme ?a : c'est la mauvaise foi des juges actuels. Quant ? moi, je suis tout dispos? ? aller boire un verre avec un ancien combattant russe.
39-45 Magazine : On montre les russes tr?s patriotes. Y avait-il aussi chez eux un syst?me de contrainte au combat ?
Guy Sajer : Les russes sont des patriotes et le restent dans des conditions difficiles, m?me au goulag. Par contre, dans ces moments d'horreur, il n'est plus question de patriotisme. Dans l'action, il n'y a que la terreur d'y passer et c'est cela qui cr?e des liens entre les adversaires. Les allemands ?taient aussi des patriotes et je pense sinc?rement que les russes l'?taient aussi. Par contre, je peux vous citer le cas de russes qui nous aidaient, puis un beau jour disparaissaient. Mais ils revenaient une semaine apr?s parce qu'ils n'avaient pas trouv? mieux et que leurs gamelles ?taient vides.
39-45 Magazine : Dans le film, les allemands combattent dans l'ignorance et sous la contrainte alors que l'on montre les russes agissant par patriotisme.
Guy Sajer : les russes voyaient leur pays envahi, ceci peut expliquer cela. Mais on n'emp?chait pas des prisonniers de d?noncer aux allemands les commissaires politiques russes qui les avaient malmen?s. Je ne comprends pas pourquoi ils l'auraient fait s'ils n'avaient pas de bonnes raisons de le faire. Les allemands, un peu surpris, les remettaient aux services sp?ciaux. Maintenant tout d?pendait du degr? de politisation des unit?s qui s'affrontaient. C?t? allemand, il n'y avait pas d'unit? SS ? Stalingrad.
Source: 39-45 Magazine, n?90, D?cembre 1993, Interview : l'auteur du Soldat oubli? juge Stalingrad le dernier film de Joseph Wilsmaier, par Andr? Guignicourt, p 4 ? 8.