Messagepar shermanM4_666 » dim. 24 juil. 2005 14:10
voici un texte en francais du livre "l incendie"de Jorg Friedrich tres explicite qui repond a certaines de vos questions:
Fin février 1945, 800 000, peut-être même un million de personnes, se trouvaient à Dresde. 640 000 d'entre elles étaient ses habitants, les autres des réfugiés. Les deux groupes perdirent
au total 40 000 personnes dans le raid aérien des 13 et 14 février 1945. C'est, avec celui de Hambourg, le nombre le plus élevé de victimes subies par une ville allemande pendant la guerre aérienne.
Les résultats obtenus à Hambourg s'expliquaient non seulement par les efforts entrepris par le Bomber Command, mais aussi par une rare conjonction d'éléments. Le succès de juillet dépassait de loin les résultats obtenus précédemment pendant la bataille de la Ruhr. L'intensité des destructions excédant le potentiel de l'arme, il fallait qu'un facteur supplémentaire y ait contribué, comme par exemple les problèmes rencontrés par les pompiers à Kassel.
C'était à Berlin qu'on s'attendait à un massacre colossal de plus de cent mille morts, mais non à Dresde, dont l'origine remontait aux projets alliés de l'été 1944 destinés à organiser un « coup de tonnerre ». Ce fut en revanche une version modeste de l'attaque chimique et bactériologique à laquelle Churchill voulait alors soumettre soixante villes allemandes.
Lorsque, en février 1945, la 8e flotte américaine lança un demi-coup de tonnerre sur Berlin, elle découvrit à quel point il était difficile d'arriver à tuer 100 000 personnes. À la place des deux mille appareils prévus, il n'en partit que 937, au lieu de cinq mille tonnes de bombes, il n'en tomba que 2 266 et elles ne tuèrent pas 110 000 civils comme on l'escomptait, mais 2 893. Même une métropole aussi mal défendue à l'époque, disposant d'un nombre totalement
insuffisant de bunkers, résistait à la destruction totale du fait même de son volume. Le principe allié de la surface de destruction fermée était plus facile à mettre en œuvre sur des surfaces de cinq kilomètres carrés. Les villes petites et moyennes, au centre historique resserré, étaient susceptibles de subir une tempête de feu. Et seul le feu garantissait une zone de mort.
Plus les dimensions sont réduites, plus le bombardement de précision est compliqué. Le groupe de bombardiers n° 5, devenu expert en matière de destruction de précision, dirigea l'opération de Dresde. L'opération Thunderclap fut réalisée sur une ville si éloignée et présentant si peu d'intérêt pour la guerre qu'on l'avait ignorée pendant quatre ans et demi. Le trajet était certes long, mais pas plus que celui menant à l'usine d'hydrogénation de Brüx où la
8e flotte avait largué 4 000 tonnes de bombes ou à Leuna, plus à l'ouest, qui en avait reçu 18 000.
Tandis que Churchill, Eisenhower, Harris et Portal mettaient par écrit les idées de Thunderclap, le groupe n° 5 testait méthodiquement les effets produits par les moyens à sa disposition. À l'automne, ce groupe transforma le plan d'anéantissement conçu
pendant l'été en arme opérationnelle. Contrairement à ce qui se passa à Hambourg et à Kassel, ce n'est pas par hasard qu'il y eut des dizaines de milliers de morts, ce fut voulu. Les 11 et 12
septembre 1944, le groupe n° 5 déclencha une tempête de feu à Stuttgart et à Darmstadt. Stuttgart fut entièrement brûlée, mais les galeries protégèrent ses habitants. Darmstadt, qui était aux trois quarts plus petite, perdit treize fois plus d'habitants. Elle fut prise comme raid de référence par le Bomber Command et servit de modèle pour Dresde. Darmstadt et Dresde sont la répétition et la première. L'étroitesse de la scène où eut lieu la répétition provoqua
des effets plus violents. Le pourcentage des morts s'y élève à 10,7 %, plus du double de celui de Dresde. Seul Pforzheim fut davantage saignée.
Darmstadt et Dresde furent attaquées à la manière propre au groupe n° 5, selon la technique de l'éventail. L'éventail est un quart de cercle. A Darmstadt, sa pointe se trouve sur le champ
d'exercice, à Dresde, sur le terrain de football de la DSC, dans le grand Ostragehege. Dans les deux cas, les appareils suivent des itinéraires différents et trompent la défense aérienne. À Darmstadt, il s'écoule dix minutes entre le signal d'alerte et les premières bombes, à Dresde
vingt-cinq minutes, mais dans ce dernier cas, il faut aussi plus de temps pour gagner les abris. À Darmstadt, les chemins menant aux abris ne sont pas fléchés. Aucune de ces deux villes ne possède de bunker.
À 22 heures 03, les éclairagistes commencent à illuminer la vallée de l'Elbe et la ville avec des cascades de lumière blanche. Les vertes tombent deux minutes plus tard sur le stade DSC.
A 23 heures 35, la lumière blanche attachée à des parachutes flotte au-dessus du champ d'exercice de Darmstadt. Les marqueurs plongent à mille mètres, dessinent le terrain qui resplendit d'une lumière claire, d'abord en rouge, puis en vert ; il manque un marquage sur la gare centrale. Le master bomber se précipite dessus et, comme d'un coup de crayon, remplace le vert par du jaune. Puis il remonte dans les airs et appelle ses escadrilles de bombardiers.
Le master bomber de Dresde descend en piqué, traverse la mince couche de nuages et examine son objet. La défense aérienne semble lui manquer, les Lancaster qui volent haut peuvent plonger à 3 000 mètres, les marqueurs à vue à 270 mètres. Le stade est coché de rouge. Il est 22 heures 13, on éclaire et on marque en toute tranquillité depuis dix minutes, pas un projecteur mobile ne s'allume.
A Darmstadt aussi on travaille de manière décontractée, en suivant le plan et sans être dérangé. L'éventail s'écarte de 45° à partir de son point d'articulation. Le master bomber appelle d'abord trois escadrilles de l'ouest. Au niveau de l'articulation, l’overshoot est
de six secondes, puis les bombes basculent le long de l'arête gauche de l'éventail. Cela correspond au sol à la ligne allant aux abattoirs.
Ensuite, les bombardiers de la seconde vague dessinent l'arête droite à la sortie sud du centre-ville. La troisième vague, composée de quatre escadrilles, vole entre les deux côtés du triangle et déroule au-dessus de la vaste surface intérieure le tapis de mort et de ruine.
Le 13 février, à Dresde, tout se passe comme d'habitude. Les bombardiers ont réussi à Heilbronn, à Pribourg et ils ne tarderont pas à raser Wùrzburg. À Dresde, ils n'ont pas une minute à perdre car leurs réservoirs remplis de 10 000 litres au décollage, ne leur laissent aucune marge. À 22 heures 03, ils ont encore vingt-cinq minutes avant de prendre le chemin du retour et de parcourir 1 400 kilomètres. A la fin du marquage, il reste encore douze minutes au master bomber, arrivé le premier. Il lance ses instructions sur la radio à ondes ultracourtes : « Master bomber à l'unité Plate-rack, bombardez la lumière rouge selon le plan.» Puis l'éventail est déployé. L'arête gauche traverse deux fois le coude de l'Elbe, la
droite s'arrête à la voie ferrée du Falkenbrücke, l'arc de raccordement est planté devant la gare.
La qualité du bombardement tient au fait que l'on recouvre uniformément de feu, de souffle et d'explosion la surface de l'éventail. Cela doit lever comme une pâte. Le master bomber et le
marqueur principal veillent à ce qu'il ne reste aucun endroit vide à l'abri du feu. Tout repose sur l'exactitude de l'angle que chaque appareil frappe à l'intérieur de l'éventail, l’overshoot, la distance entre le bord de l'éventail et le largage.
Les yeux du master bomber sont rivés sur l'éventail. « Hello, unité Plate-rack, attention, il y en a une qui est partie trop tard. Une autre a été larguée très loin du point-cible... Bon travail,
unité Plate-rack, le largage est remarquable... Hello unité Plate-rack, à présent, les bombes tombent n'importe comment, maintenant, repérez-vous sur la lumière rouge... » L'extermination de masse est un travail qui se fait au millimètre près, il ne réussirait pas si les
tonnes de bombes étaient lancées au petit bonheur sur une localité. Car elle s'en sortirait bien.
À Darmstadt, les flammes se transforment en tempête de feu en une heure. Les services locaux de lutte contre l'incendie, treize autopompes, s'occupent des casernes de pompiers qui sont en feu. Le temps que leurs collègues de Mannheim, Francfort, Mayence arrivent par l'autoroute, il est 3 heures, à 6 heures, trois mille hommes équipés de 220 lances à moteur sont prêts, alors que l'incendie est déjà soutenu depuis deux heures. Il faut que le feu soit plus rapide que les pompiers. Sinon, il ne s'agira pas d'un raid d'anéantissement, mais d'une collection d'incendies.
À Darmstadt, le malheur voulut qu'il y ait eu une grande quantité de bombes à retardement. Elles servent d'ordinaire à empêcher les occupants des caves de remonter à la surface après la
fm de l'attaque et de s'enfuir à travers les passages encore ouverts au début entre les incendies. C'est ainsi que ne se produisent pas les cent mille morts sur lesquels fantasment les états-majors. A 1 200 mètres au sud de la gare centrale de Darmstadt, un convoi de munitions attendait sur la voie et prit feu. Les obus chargés explosèrent durant une heure, laissant croire à tort aux occupants des caves que le raid aérien se poursuivait.
Lorsque les détonations provenant du convoi de munitions cessèrent, la tempête de feu avait verrouillé toutes les sorties des caves. La chaleur et le gaz transformèrent les abris en lieux d'exécution. 12 300 personnes moururent ainsi, soit le dixième des habitants. Ce chiffre
était supérieur au taux de mortalité de l'attaque par le gaz que Churchill avait projetée en juillet. Mais les 12 000 morts ne correspondaient pas du tout aux objectifs assignés à Thunderclap. Rapporté au million de personnes présentes à Dresde, ce chiffre donnait un
taux comparable aux pertes moyennes subies par toutes les villes allemandes.
Une demi-heure après le départ du groupe n° 5, la tempête de feu attendue s'était déclenchée dans l'éventail de Dresde. Les largages avaient été réalisés avec un léger décalage, mais le plan avait marché comme prévu. Selon la méthode du groupe, l'éventail n'était pas très large, à l'endroit où il l'était le plus, la distance entre ses bords était de deux kilomètres et demi. Il couvrait les trois quarts de la vieille ville. Compte tenu du poids élevé de l'essence, on ne pouvait charger que 877 tonnes de bombes, exactement la quantité qui était tombée sur Darmstadt. Harris opta donc pour la méthode du double raid testée à Duisburg, Cologne et Sarrebruck. Il ne double pas, il multiplie plusieurs fois les destructions parce qu'il frappe alors que, soulagée, la population se croit hors de danger. Quatre-vingt-dix minutes après la fin de l'alerte, les habitants de Dresde eurent juste le temps de se traîner dans le Grand Jardin et sur les berges de l'Elbe, lorsque l'alerte retentit à nouveau, dans les faubourgs du moins, car les installations du centre-ville ne fonctionnaient plus. C'est sur de tels défauts que compte le double blow (Le « coup double ») pour augmenter les pertes humaines.
Lorsque la seconde vague de bombardiers arriva à 1 heure 16, comme prévu, elle n'avait plus de visibilité. La tempête de feu chassait dans l'atmosphère des nuages de fumée d'un kilomètre de haut. Le point-cible était malgré tout le Vieux Marché situé au milieu de l'éventail. Cela correspond au but du coup double qui est de mettre KO. La première attaque chasse les gens dans les abris, la seconde s'en prend à ceux qui les ont quittés avec soulagement. Passé deux heures, les caves ne sont plus d'aucun secours. Ensuite, sous un quartier de la ville en feu, le sous-sol ne peut plus assurer la protection de la vie. Celui que la deuxième attaque a chassé pour la seconde fois dans sa cave a peu de chances d'en ressortir. Pas plus que ceux qui se
cachent à l'air libre, tels ceux qui se sont réfugiés dans le Grand Jardin de Dresde. Conformément à sa logique, la méthode a pour objet l'extermination de masse.
Lorsque le master bomber vit la situation dans l'éventail au-dessous de lui, il la jugea suffisamment meurtrière et fit marquer le quart de cercle sur le côté pour continuer à frapper. À gauche, au-dessus de l'Elbe que le feu ne pouvait pas traverser, dans la ville nouvelle, à droite vers la gare centrale et le Grand Jardin, surface facile à reconnaître, mais non combustible.
La rive gauche du fleuve est bordée d'une bande verte de cinq cents mètres de long, les berges de l'Elbe. En ce mois de février, il y soufflait un vent glacé et il s'était mis à bruiner pendant la nuit. Après la première attaque, les occupants des caves proches du fleuve se hâtèrent de traverser la fumée, les vols d'étincelles et l'air chaud de la tempête de feu qui se préparait pour rejoindre la fraîcheur des marécages. Le personnel de soin de l'hôpital Johannstàdter y transporta les patients dans leurs minces chemises rayées et les y étendit. Des accouchées accoururent de la polyclinique. Tel était le premier groupe que le double blow avait fait sortir
de ses cachettes et placé au-dessous de lui sans la moindre protection.
De l'autre côté, celui de la gare, s'étendait une sorte de refuge planté d'arbres, le Grand Jardin. C'est ici que se réfugia le second groupe de ceux qui fuyaient la vieille ville. Des dizaines de milliers de personnes se rassemblèrent sur les berges de l'Elbe et dans le Grand Jardin. Elles n'avaient pas d'autre choix. L'éventail s'étant ouvert, la géographie de la ville ne leur offrait que ces deux endroits. La zone de la conflagration allumée par le groupe n° 5 poussait en quelque sorte les gens qui s'y trouvaient prisonniers vers cette impasse. Une grande partie des bombes du raid suivant y tomba en crépitant.
La gare centrale se trouvait à l'extérieur de l'éventail. Elle était bondée de réfugiés arrivant du front est. La première attaque avait laissé la possibilité à un assez grand nombre de convois de
voyageurs de sortir de la zone urbaine, ils étaient revenus après le départ du groupe n° 5. Or la gare centrale était également un objectif prioritaire du second coup. On avait donc établi trois centres d'extermination : les caves sous la vieille ville en feu, les Zones vertes et la gare. Les techniques incendiaires du groupe n° 5, associées à la méthode du double blow, levèrent donc une fraction de cette armée de morts, comme le chef de Thunderclap en avait donné l'ordre…